Tendances européennes de la consommation de drogues
L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) a publié son Rapport européen sur les drogues 2023[1], qui présente une vue d’ensemble des tendances en matière de drogues et des défis émergents en Europe. Le rapport indique la persistance d’une grande disponibilité de drogues de tous types et note une augmentation de l’échelle et de la complexité de la production de drogues illicites en Europe. Les consommateurs sont désormais exposés à un éventail plus large de substances psychoactives de puissance et de pureté variables, dont l’apparence est souvent indiscernable, ce qui nécessite des stratégies de communication des risques efficaces pour alerter les consommateurs sur les risques pour la santé qui y sont associés.
Le rapport couvre un large éventail de drogues illicites et met en évidence le défi permanent que représentent les nouvelles substances psychoactives (NPS) pour la santé publique, avec 41 nouvelles drogues signalées par le système d’alerte précoce de l’UE pour la seule année 2022, comme le montre le graphique ci-dessous, ce qui porte à 930 le nombre total de substances surveillées par l’OEDT. L’influence omniprésente de la criminalité organisée liée à la drogue et les saisies record de drogues illicites dans toute l’Europe soulignent le besoin crucial de coopération internationale dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Figure 1. Nombre de nouvelles substances psychoactives signalées pour la première fois au système d’alerte précoce de l’UE, par catégorie, 2005-2022
Alexis Goosdeel, directeur de l’OEDT, résume la situation actuelle en matière de drogues par l’expression “partout, tout, tout le monde”, soulignant l’accessibilité généralisée des drogues établies, l’émergence de nouvelles substances puissantes et l’impact universel des drogues sur la société. Pour mieux comprendre et répondre à l’évolution de la situation en matière de drogues, le rapport appelle à une amélioration des données médico-légales et toxicologiques. Il souligne la nécessité d’un réseau européen de laboratoires médico-légaux et toxicologiques, que l’OEDT lancera dans le cadre de son nouveau mandat en 2024, afin de renforcer les capacités dans ce domaine.
Aperçu comparatif des statistiques sur les drogues dans les pays européens
Le cannabis reste la drogue illicite la plus consommée en Europe. On estime que 8 % des adultes européens âgés de 15 à 64 ans, soit environ 22,6 millions de personnes, ont consommé du cannabis au cours de l’année écoulée. L’année 2021 a vu une quantité record de saisies de cannabis dans l’UE, avec 816 tonnes de résine de cannabis et 256 tonnes d’herbe de cannabis, ce qui indique que cette drogue est largement disponible. En outre, environ 97 000 personnes ont demandé un traitement médicamenteux pour des problèmes liés au cannabis au cours de la même année. En République tchèque, le pourcentage est assez élevé : 22,9 % des jeunes adultes (15-34 ans) en ont consommé en 2022, contre 7,8 % en Pologne et 3,4 % en Hongrie.
Figure 2. Prévalence de la consommation de cannabis en Europe chez les jeunes adultes (15-34 ans) en 2022
En réponse à l’évolution des perspectives sur la consommation de cannabis, cinq États membres de l’UE – l’Allemagne, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas, ainsi que la Suisse – introduisent ou envisagent des cadres réglementaires pour l’usage récréatif du cannabis[2]. Ces initiatives visent à contrôler son offre, en mettant l’accent sur la santé et la sécurité publiques. Il est donc nécessaire de renforcer les efforts de suivi et d’évaluation afin d’évaluer de manière exhaustive les implications de ces changements réglementaires sur la santé et la sécurité publiques. Ces développements indiquent un changement d’approche politique à l’égard du cannabis, reflétant des tendances et des débats plus larges sur la consommation et la réglementation des drogues dans le contexte européen.
Le trafic de cocaïne dans les ports maritimes européens continue de favoriser la grande disponibilité de cette drogue, ce qui suscite des inquiétudes quant à l’augmentation de sa consommation, à ses effets néfastes sur la santé et à la criminalité liée à la drogue. Le rapport fait état de l’augmentation des saisies de cocaïne dans les principaux ports européens et de l’émergence d’une tendance à la fabrication illicite de cocaïne au sein de l’UE. La République tchèque obtient de meilleurs résultats que les autres pays en termes de consommation de cocaïne, avec 2,7 % des adultes de 15 à 64 ans qui en ont consommé au moins une fois dans leur vie, contre 12 % pour l’Espagne, le chiffre le plus élevé.
Figure 3. Prévalence de la consommation de cocaïne en Europe chez les adultes (15-64 ans) une fois dans leur vie en 2022
Le rapport met également en évidence les risques croissants pour la santé publique associés à une plus grande variété de stimulants synthétiques, à l’usage récréatif de la kétamine et du protoxyde d’azote[3] et au potentiel des drogues psychédéliques. Il souligne l’évolution du problème des opioïdes en Europe, l’héroïne restant l’opioïde illicite le plus couramment consommé et l’utilisation d’opioïdes synthétiques très puissants suscitant de plus en plus d’inquiétudes. La République tchèque se distingue par une consommation relativement élevée de MDMA, enregistrant le pourcentage le plus élevé de jeunes adultes en ayant consommé au moins une fois dans leur vie (18,6 %), contre 1,4 % pour la Pologne et 8 % pour l’Allemagne.
Figure 4. Prévalence de la consommation de MDMA (“ecstasy”) en Europe chez les jeunes adultes (15-34 ans) une fois dans la vie en 2022
En outre, sur les 12 villes métropolitaines, Prague a enregistré le plus grand nombre de seringues usagées testées positives à la méthamphétamine. En revanche, le pourcentage de seringues positives à la cocaïne (0,7 % contre 57,8 % à Cologne) et à l’héroïne (20,3 % contre 40,9 % à Budapest) y est nettement moins élevé.
Alors que l’OEDT se prépare à un nouveau mandat et à un rôle élargi[4], le Rapport européen sur les drogues 2023 constitue une ressource essentielle pour comprendre la situation de la drogue en Europe et ses implications pour la santé publique et la sécurité. La future mission de l’agence vise à renforcer les capacités de surveillance, à améliorer l’état de préparation de l’UE et à développer des compétences pour de meilleures interventions dans le domaine de la drogue.
La drogue en République tchèque
La République tchèque est confrontée à une grave crise de santé publique, les taux de toxicomanie ayant grimpé en flèche au cours des dernières décennies. Selon une étude de Tirlik M. et al. publiée en 1996 par la National Library of Medicine[5], il y a déjà eu une augmentation notable de la consommation de drogues illicites dans le pays, les amphétamines étant en tête de liste des substances préférées. La polytoxicomanie était courante, et l’on avait constaté une augmentation particulière de la consommation de drogues dites “de danse”, comme le diéthylamide de l’acide lysergique (LSD), chez les jeunes, ainsi que de l’héroïne dans les centres urbains. La tendance à s’injecter des drogues est également en hausse, ce qui rend d’autant plus urgent le développement des services de traitement de la toxicomanie.
L’Observatoire national des drogues et des toxicomanies (NMC) de la République tchèque a publié en 2023 son rapport annuel sur les habitudes de dépendance de la population tchèque[6] Dans les sous-sections suivantes, nous passerons en revue les données les plus significatives disponibles.
Consommation de drogues dans la population adulte (y compris l’alcool et le tabac)
Dans la population adulte, une proportion notable de personnes adopte des comportements de dépendance à l’égard de diverses substances et activités. Environ 17 à 23 % (1,5 à 2,1 millions) des personnes âgées de 15 ans et plus fument quotidiennement, tandis qu’environ 10 % (800 à 980 000) consomment de l’alcool quotidiennement ou presque, 17 à 19 % (1,5 à 1,7 million) étant des consommateurs d’alcool à haut risque et 9 à 10 % (800 à 900 000) étant classés dans la catégorie de la consommation nocive d’alcool. Les médicaments psychoactifs posent un problème à 14-15% des adultes, soit environ 1,3-1,5 million de personnes. La consommation de cannabis au cours de l’année écoulée concerne 6 à 10 % de la population (500 à 900 000 adultes), avec un risque de consommation problématique estimé à 400 000 personnes, et 5 à 7 % qui l’utilisent à des fins d’autotraitement. La consommation d’autres drogues illicites comprend 1 % d’ecstasy, 2 % de champignons hallucinogènes et moins de 1 % de méthamphétamine et de cocaïne. Les consommateurs à haut risque de méthamphétamine ou d’opioïdes sont environ 44,9 milliers, y compris les sous-catégories de consommateurs de drogues diverses. Ces statistiques mettent en évidence les problèmes de santé publique importants posés par les diverses formes de toxicomanie au sein de la population adulte et soulignent la nécessité d’interventions sanitaires globales et ciblées.
Consommation de drogues chez les jeunes (y compris l’alcool, le tabac et la dépendance numérique)
La prévalence des comportements addictifs chez les enfants et les adolescents révèle des tendances inquiétantes en matière de consommation de substances et d’engagement numérique. Environ 10 à 11 % des élèves de 13 à 16 ans fument régulièrement du tabac, tandis que la consommation d’alcool est très répandue : 17 % des élèves de 11 ans, 43 % de ceux de 13 ans, 76 % de ceux de 15 ans et 95 % de ceux de 16 ans ont bu de l’alcool à un moment ou à un autre de leur vie. Plus de la moitié de ces personnes ont déclaré avoir bu au cours des 30 derniers jours, et 39% des jeunes de 16 ans s’adonnent à une consommation excessive d’alcool tous les mois, 12% le faisant toutes les semaines ou plus. 24 % des jeunes de 16 ans ont déclaré avoir consommé des drogues illicites au cours des 12 derniers mois, le cannabis étant la substance la plus courante, suivie des sédatifs sans ordonnance, des substances volatiles, de l’ecstasy, des champignons hallucinogènes, du LSD ou d’autres hallucinogènes, et, dans une moindre mesure, de la cocaïne ou de la méthamphétamine. Les addictions numériques sont également répandues, 15 à 25 % des 11-15 ans et 10 à 15 % des 15-19 ans déclarant jouer de manière excessive. L’utilisation des médias sociaux est excessive chez 25 à 30 % des enfants et 45 à 50 % des adolescents, 7 % des enfants et jusqu’à 30 % des adolescents étant exposés à un risque de dépendance.
Coûts sociaux de l’abus de drogues en République tchèque
La consommation de substances psychoactives contribue de manière significative à la morbidité et à la mortalité, le tabagisme étant à l’origine de 16 à 18 000 décès par an et l’alcool de 6 à 7 000 décès par an, dont environ 2 000 cas où il est la cause principale, 400 à 500 étant dus à l’intoxication alcoolique. En 2021, les surdoses mortelles ont entraîné 64 décès, principalement dus à des drogues illicites ou à des substances volatiles, et 10 à des benzodiazépines. En outre, 150 décès sont liés à d’autres conséquences de la consommation de drogues illicites et de médicaments psychoactifs, telles que les maladies, les accidents et les suicides.
Les complications sanitaires liées à la consommation de substances s’étendent aux maladies infectieuses, avec 7 nouveaux diagnostics de VIH en 2021 associés à la consommation de drogues injectables et 800 à 1100 cas d’hépatite C signalés chaque année, dont 400 à 600 parmi les consommateurs de drogues injectables. Les admissions à l’hôpital pour blessures sous l’influence de substances addictives atteignent 14 à 15 000 par an, principalement à cause de l’alcool, mais aussi des drogues illicites, des médicaments psychoactifs et des substances volatiles. En outre, l’alcool et les autres drogues sont à l’origine de 4 500 et 320 accidents de la route par an, respectivement.
La santé mentale est gravement affectée par le jeu excessif : plus de 70 % des personnes à risque déclarent souffrir de troubles anxio-dépressifs, 46 % ont des idées suicidaires et 14 % font des tentatives de suicide. En outre, les enfants et les adolescents exposés au risque de dépendance numérique sont 2 à 6 fois plus enclins à négliger leurs activités de loisirs, à souffrir de troubles du sommeil ou de l’alimentation, à rencontrer des problèmes à l’école et à constater des répercussions négatives sur leur vie sociale avec leurs amis et leur famille. Ces effets considérables de la consommation de substances soulignent la nécessité de mettre en place des stratégies solides et multidimensionnelles pour faire face aux conséquences sanitaires, sociales et psychologiques.
La réponse tchèque au problème
Cette crise, qui s’est aggravée au cours des 50 dernières années, ne montre aucun signe d’apaisement, les mesures de santé publique ayant du mal à suivre le rythme des statistiques croissantes sur la dépendance et les effets néfastes de la consommation de drogues sur les individus, les familles et les communautés. La voie à suivre par la République tchèque pour atténuer ce problème de drogue dépend de la mise en œuvre de programmes efficaces et accessibles de réhabilitation des toxicomanes et des alcooliques. Il est extrêmement important de mentionner que, selon le Rapport européen sur les drogues 2023[7], la République tchèque, à l’instar de la Slovaquie et de la Turquie, affiche une prévalence de personnes entrant pour la première fois en traitement (plus de 30 %) pour les consommateurs de méthamphétamine.
Figure 5. Part des personnes entrant en traitement pour la première fois chez les consommateurs d’amphétamines
Source : Rapport européen sur les drogues (2023) : Rapport européen sur les drogues (2023). Disponible à l’adresse : https://www.emcdda.europa.eu/publications/european-drug-report/2023_en
En République tchèque, un réseau complet de 250 à 300 établissements fournit des services spécialisés en addictologie pour traiter la consommation de substances et les problèmes connexes. Ce réseau comprend 55 à 60 centres à bas seuil, 50 programmes de proximité et 90 à 100 programmes de traitement ambulatoire, dont 10 sont destinés aux enfants et aux adolescents. En outre, il existe 10 à 15 unités de désintoxication, 25 à 30 unités de soins hospitaliers, 15 à 20 communautés thérapeutiques et 35 à 45 programmes de postcure ambulatoire, dont 20 à 25 avec logement protégé. En outre, 5 à 7 foyers fonctionnent sous un régime spécial pour les toxicomanes. En ce qui concerne les traitements de substitution aux opiacés, 60 établissements déclarent des patients dans ces programmes, et on estime que 600 à 700 médecins généralistes proposent cette forme de traitement.
La moitié des services d’addictologie s’adressent aux joueurs, et plus d’un tiers aux personnes présentant un risque de dépendance numérique. Le traitement de la dépendance au tabac est disponible dans 43 centres situés dans les cliniques ambulatoires des hôpitaux, avec environ 200 médecins ambulatoires et environ 300 pharmacies spécialisées offrant des services de conseil.
Les centres de traitement résidentiels sont essentiels pour fournir un environnement structuré où les individus peuvent faire face à leur dépendance. Ces centres s’intéressent à la fois aux aspects physiques de la dépendance et aux facteurs psychologiques qui sous-tendent la consommation de substances. En identifiant et en traitant les causes profondes de la dépendance, ces centres offrent une approche holistique du rétablissement, fournissant aux individus les outils dont ils ont besoin pour une sobriété à long terme.
Le défi de la République tchèque consiste à étendre et à améliorer ces systèmes de soutien afin de répondre aux besoins croissants et de briser le cycle de la dépendance qui affecte tant de ses citoyens. Espérons qu’avec le soutien de la nouvelle structure de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, la République tchèque sera en mesure de s’attaquer efficacement à ce problème de longue date.